Chapitre 5 : Un retour attendu
Je me sens bousculée doucement, puis de plus en plus fort. J’ouvre les yeux et relève la tête, je vois trouble. En focalisant mon regard, petit à petit, je distingue une forme devant moi. Je me relève rapidement quand je comprends qui c’est.
- Et bien alors, on s’est décidé à se trouver un nouveau coin ?
- Pas du tout.
- Allons petite Fire Enze, n’avais tu pas trop de choses à faire pour roupiller ici ?
- Si je te dis que c’était tellement dur que j’ai laissé tomber tu me crois ?
- Sur parole, t’es pas assez endurante.
- C’est bien vrai ça.
Je souris de toutes mes dents et lui hausse les sourcils, il veut sans doute savoir pourquoi je ne démens pas comme d’habitude.
- Très cher Ceclia, tu as tellement raison que je dois te faire une confidence : je suis épuisée. Je suis si peu résistante que c’est toi qui vas devoir me porter là-bas.
- J’aurai dû me douter de ce coup là.
Malgré moi, je suis ébahie qu’il ne râle pas plus. Il me prend dans ses bras alors je profite et me tais, autant ne pas pousser trop loin. Il ouvre ses ailes dont j’adore tellement la couleur particulière et s’envole en direction de la cascade. Je me laisse aller un peu plus contre lui, je me cale facilement, je sais exactement comment me mettre pour être à l’aise vu le nombre de fois où il m’a porté ainsi, je commence à connaître.
Il n’a même pas le temps d’arriver en vue de la chute d’eau que je me suis rendormie.
Je me réveille peu de temps après sur le canapé de la grotte, celle-ci ayant retrouvé toute sa lumière grâce à Ceclia. Je me lève très heureuse de le savoir à nouveau là, je vais pouvoir reprendre mon passe temps favori. Je commence à le chercher un peu partout, vers la salle d’arme, la bibliothèque, autour de l’aquarium: personne en vue.
Je descends alors à l’étage inférieur, je regarde d’abord vers sa chambre mais c’est une mauvaise pioche. Je farfouille dans chaque pièce et le découvre enfin en méditation contre des roches de sels humides. Apparemment il a besoin de recharger ses batteries.
Si pour ma part je suis à l’aise avec l’eau, l’ange noir contrôle l’eau salée, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Ainsi quand il a utilisé trop de sa propre force, il doit absorber de l’énergie élémentaire sous sa forme basique, soit de l’eau salée. Pour ma part c’est pareil avec de l’eau douce, comme celle du lac.
C’est vrai qu’atomiquement parlant c’est pareil, mais les réactions entre les corps font que ça me rend malade rien que d’essayer de faire la même chose que lui.
Je me plante devant lui et l’observe, il ne doit pas être là depuis longtemps. Au fur et à mesure que sa transe s’approfondit les globes perdent de leurs éclats, il se concentre un peu plus encore et les vêtements qu’il porte sont réassimilés doucement par son corps, augmentant son énergie. Je découvre alors quelque chose qui me force à le déranger. J’avance rapidement vers lui et m’agenouille à ses côtés.
- Mon Dieu, mais comment t’as fait pour te blesser autant ?
Il ouvre doucement les yeux en reprenant pied dans la réalité puis me lance un regard noir.
- Je pensais que tu étais exténuée et que tu allais dormir pendant des heures.
- Je me suis assez reposée avant, pourquoi t’as accepté de me porter jusqu’ici ?
- Je n’avais pas envie de parlementer avec une tête de mule.
- Ouais ben tu vas me laisser te montrer pourquoi mon clan est reconnu partout, et que je sais deux trois trucs utiles.
- Si ça te fait plaisir.
Il se décolla de la paroi pour que je puisse accéder aussi à son dos. Je vois des brûlures et griffures qui se rajoutent à celles de son torse. Je suis sur qu’il en a aussi sur les membres ! Je me disais bien aussi que c’était anormal qu’il porte son manteau fermé.
Je m’affaire autour de lui, soignant de mes petites mains toutes ces traces déplaisantes à voir sur son corps. À la fin de mon travail, je profite qu’il se soit assoupi pour l’ausculter plus en détail, des dizaines de fines cicatrices parsèment son torse, dos, bras et jambes, souvenirs de nombreux combats.
C’est bizarre qu’à son âge il soit autant criblé de marques. Bien que l’on vive ensemble je ne sais rien de son passé, d’où il vient, ce qui lui est arrivé, c’est la toute première fois que j’y pense et ça me fait mal.
Il m’a raconté ce que « le Positive » lui avait appris sur moi pour qu’il accepte de me prendre à sa charge. Il sait donc tout sur mon sujet, bien qu’il n’y ait pas grand-chose d’exceptionnel à savoir sur ma vie d’avant lui. Mais ça me gêne à présent d’être si ignorante d’un être auquel je tiens. Etant le seul humanoïde du coin, je ne peux que l’apprécier de toute manière. Il faudra que je pense à lui poser quelques questions. Pour le moment je vais me reposer. Oui, encore ! Mais soigner la quasi-totalité d’un corps de 2m10 avec votre énergie, sans avoir d’endurance ni de précédent et vous verrez que ça vous amoche bien.
Finalement, je suis beaucoup plus résistante que je ne le croyais, vu que je me réveille juste avant Ceclia, par contre je ne sais pas comment je me suis retrouvée sur ses genoux.
- Tu te décides enfin à revenir.
- Bien obligé de te surveiller alors que tu te balades dans mon esprit et que ça ne me plait guère.
- N’importe quoi, je ne ferais jamais ça. Je suis sûre que c’est aussi bizarre que mon rêve alors sans façon.
- Dans ce cas, la prochaine fois que tu rêves de trois dragons qui t’encerclent et que ta seule chance pour t’en sortir est de compter sur un imbécile, tu me préviens.
Bon correction, y’a de fortes chances que je sois allée lire sa mémoire, mais je l’ai pas fais exprès. De plus je sais même pas comment on fait, il a jamais voulu me montrer. Je connais que la partie théorique de la chose. Je reconnais quand même que le peu que j’ai vu me donne envie d’en savoir vraiment plus à son sujet.
- Est-ce qu’un jour tu me raconteras des trucs sur toi ?
- Pourquoi je devrais le faire ?
- Depuis le temps que je te connais, à part ton nom je sais rien, même pas comment tu as fait pour avoir des ailes bleues noires aussi jolies. J’aimerai bien avoir les mêmes.
- Je te l’interdis formellement !
- Je …. Désolée.
La discussion s’arrête bien vite, il a l’air vraiment en pétard. J’aurais pas dû tenter une approche si directe. Pourquoi est ce que ça l’énerve quand je parle de ça ? J’aime pas le voir ainsi, je sais qu’il est vraiment en colère, ça me rend triste. Il repart vers l’étage du dessus d’un pas vif.
Je remonte vite au niveau de l’aquarium à sa suite. Je m’installe sur une chaise, un ouvrage atterri juste sous mes yeux : « le commerce entre les peuples ». Je sens que ça va être extrêmement long.
- Les objets usuels et les aliments de plaisir sont les seules choses que l’on trouve partout. Pour des onguents, baumes, ou toutes autres substances remplaçant une aptitude génétique, il faut se rendre auprès des clans la possédant par nature.
- Quelles sont les demandes les plus fréquentes parmi ces remèdes ?
- Les produits dopant et ceux de soins.
- Il en manque un.
- Pff ….
- Tu devrais t’en souvenir d’autant plus qu’il te serait utile.
J’en ai particulièrement marre. Je me fiche totalement de ce qu’on peut vendre, acheter, troquer. Ici y’a jamais personne de toute manière, et j’aurais bien voulu que ça reste comme tel. Quelle idée que de vouloir que le démon des livres revienne ! Et le voilà qui continue son sermon sur le bien-fondé de connaissances approfondies. Pour le moment savoir parler 14 langues ne m’a absolument pas aidé à ne pas mourir d’ennui. Seul point positif, apparemment sa fureur s’est calmée.
- Vu que tu n’écoutes même pas mes paroles, c’est à ton tour de parler, tu vas me recommencer la description de l’échange transfrontalier depuis le début.
- …. – mon expression choquée lui répond.
- Si tu veux en finir au plus vite, assures toi d’avoir la bonne explication.
Qu’est ce que j’ai fait pour mériter pareil châtiment ? Je suis repartie pour un tour.
Après avoir redonné la thèse complète, et trouvé que c’était les masques d’illusion qui manquaient à la dernière interrogation, on enchaîne par les exercices de combat. Même si je ne lui dirai jamais, je préfère ça de loin à tous ces livres poussiéreux. Ca permet de bien se défouler quand on nous permet d’enchaîner les mouvements.
Aujourd’hui je passe à l’arc, j’aime bien. Alors qu’avec les autres armes il faut être très rapide et posséder de bons réflexes, celle-ci repose sur la tension pure. Il faut prendre le temps de viser, se concentrer sur la cible, attendre le bon moment et relâcher la pression avec grâce. J’adore ça, c’est très classe, en plus ça me permet de faire enrager Ceclia sans qu’il puisse rouspéter, vu qu’il l’a lui-même dit.
- Prends tout ton temps, il faut que tu sois sûre, que tu sentes quand il faut laisser la flèche partir. Ne la lâche pas tant que tu ne sens pas le bon moment.
- Même si ça prend de longues minutes ?
- Plus tu attendras, plus tu trouveras le déclic facilement.
Je prends donc ses conseils au pied de la lettre. Mon but est de tenir au moins une heure, mais pour le moment c’est loin d’être gagné, surtout que mon bras se fatigue de plus en plus vite. En fait, c’est surtout les éclairs que je sens dans mon dos, qui me poussent à raccourcir l’attente.
J’ai retrouvé mon rythme, des cours, de la morale et encore des leçons. Je connais par cœur la plupart des livres, c'est-à-dire que je peux répéter n’importe quel passage sans chercher à savoir ce que les mots peuvent dire. Niveau armes, j’ai essayé toutes celles de l’armurerie, et d’après ce que j’ai compris je les maîtrise assez bien. Il me manque plus qu’une chose comme me l’a si bien dit Ceclia.
- Le contrôle de la magie et des sorts n’ont jamais été ma priorité, mis à part les plus utiles je ne me suis jamais penché dessus. J’ai donc demandé à quelqu’un de venir en plus pour être ton professeur là-dessus.
Sur le coup, je l’ai pas cru du tout, y’a jamais personne qui est venu se perdre ici, alors pourquoi un professeur particulier viendrait s’y enterrer ? Enfin, j’espère que je m’entendrais bien avec lui, je sens que je vais m’amuser.